Plonger dans l’histoire pour dénicher le tout premier jeu vidéo, c’est un peu comme se lancer dans une quête épique. On pense avoir la carte, mais on découvre vite des passages secrets, des prétendants cachés et des versions contradictoires de la légende. La question semble simple. La réponse, elle, est une véritable Matriochka de l’histoire de la tech.
Alors, quel est le premier jeu vidéo au monde ? Accrochez-vous à vos joysticks, car la réponse officielle a des concurrents très sérieux.
Le premier jeu vidéo reconnu comme tel est Tennis for Two, créé en 1958 par le physicien William Higinbotham.
Voilà, c’est dit. Mais si vous êtes comme moi, cette réponse simple ne vous suffit pas. C’est la fin du premier niveau, mais certainement pas la fin du jeu. Car pour certains, le véritable ancêtre est une machine à morpion géante de 1950. Pour d’autres, c’est un simulateur de missiles datant de 1947. L’histoire du jeu vidéo n’est pas une ligne droite, c’est un arbre aux racines profondes et complexes. Partons ensemble déterrer ces trésors archéologiques du gaming.
La Question Qui Fâche : C’est Quoi, un « Jeu Vidéo » ?
Avant de couronner un champion, il faut définir les règles du tournoi. C’est là que tout se complique. Qu’est-ce qui fait d’un programme interactif un « jeu vidéo » ? Après des heures à débattre avec d’autres passionnés et à éplucher les archives, je pense qu’on peut s’accorder sur quelques critères essentiels :
- Un signal vidéo : Il faut un écran, une sorte d’affichage électronique. Cathodique, oscilloscope, peu importe, mais il faut une image générée.
- De l’interactivité : Le joueur doit pouvoir influencer ce qui se passe à l’écran via un dispositif de contrôle.
- Un but ludique : L’engin doit avoir été conçu, au moins en partie, pour le divertissement, et non uniquement pour une démonstration technique ou un calcul scientifique.
C’est ce troisième point qui est le plus débattu. Et c’est précisément à cause de ces définitions variables que plusieurs « premiers jeux » peuvent coexister. C’est un peu comme se demander qui est le premier super-héros. Superman ? Ou des personnages plus anciens comme Zorro ou le Fantôme du Bengale ? Ça dépend de votre définition d’un « super-héros ».
Les Prétendants au Trône : Qui est le Vrai Ancêtre ?
Maintenant que le cadre est posé, examinons les candidats. Chaque prétendant a une histoire fascinante qui nous en dit long sur l’ingéniosité de l’après-guerre.
Le Grand-Père Fantôme : Cathode-Ray Tube Amusement Device (1947)
Imaginez-nous en 1947. La guerre froide commence à peine. Deux physiciens, Thomas T. Goldsmith Jr. et Estle Ray Mann, déposent un brevet pour un « dispositif d’amusement à tube cathodique ». Le concept ? Simuler le tir d’un missile sur une cible dessinée sur un calque posé sur l’écran. Le joueur tournait des molettes pour ajuster la trajectoire et la vitesse de son projectile, un simple point lumineux.
C’est interactif. Ça utilise un écran. Mais est-ce un jeu vidéo ? Le débat est ouvert. Le système était purement analogique, sans aucun programme informatique. Pour beaucoup de puristes, c’est un précurseur, un jouet électronique fascinant, mais pas encore un « jeu vidéo » au sens où on l’entend. C’est l’australopithèque de notre arbre généalogique.
L’IA de Morpion : Bertie the Brain (1950)
Changeons de décor. Direction Toronto, Canada, pour l’Exposition Nationale Canadienne de 1950. Là, trône une machine de quatre mètres de haut : Bertie the Brain. Créée par l’ingénieur Josef Kates, cette merveille de technologie permettait aux visiteurs de jouer au morpion (tic-tac-toe) contre une intelligence artificielle.
Le jeu s’affichait via un panneau de lampes. Les joueurs entraient leurs coups sur un clavier lumineux. Bertie, avec ses circuits à tubes à vide, était un adversaire redoutable.
Alors, premier jeu vidéo ? Il coche beaucoup de cases. C’est un jeu, avec des règles et un adversaire. Il est électronique. Mais l’affichage n’est pas un écran vidéo à proprement parler, et son but premier était de démontrer la puissance des tubes à vide Additron. C’est un peu comme si votre première voiture était en fait un prototype pour vanter un nouveau moteur. Brillant, mais pas tout à fait le produit final.
Le Champion Officiel : Tennis for Two (1958)
Nous voici enfin au Brookhaven National Laboratory, à New York. Nous sommes en 1958 et le physicien William Higinbotham cherche une idée pour pimenter les journées portes ouvertes de son laboratoire. Il veut montrer que la science nucléaire, ce n’est pas que des bombes, ça peut aussi être fun.
Son idée est géniale. Il connecte un ordinateur analogique à un oscilloscope, qui sert d’écran. Il bricole deux contrôleurs avec un bouton et une molette. Le résultat ? Tennis for Two.
Sur le petit écran rond de l’oscilloscope, un point lumineux rebondit au-dessus d’une ligne horizontale représentant le filet. Chaque joueur, avec sa molette, peut ajuster l’angle de la trajectoire et, avec le bouton, frapper la balle. La gravité est prise en compte, le point accélère en tombant. C’est simple, c’est intuitif, c’est brillant.
La raison pour laquelle Tennis for Two est si souvent couronné, c’est son intention. Higinbotham ne voulait pas vendre une technologie. Il voulait divertir. C’est le premier appareil électronique conçu exclusivement pour le plaisir de jouer. C’est la naissance du gameplay loop : observer, décider, agir, pour le simple bonheur de participer. Les gens faisaient la queue pendant des heures pour l’essayer. L’étincelle était là.
La Comparaison des Patriarches du Jeu Vidéo
Pour y voir plus clair, rien de tel qu’un bon vieux tableau comparatif.
Nom | Année | Créateur(s) | Type d’affichage | Objectif principal | Considéré comme « le premier » ? |
---|---|---|---|---|---|
Cathode-Ray Tube Amusement Device | 1947 | Goldsmith Jr. & Mann | Tube cathodique (analogique) | Démonstration de brevet | Rarement, considéré comme un précurseur. |
Bertie the Brain | 1950 | Josef Kates | Panneau de lampes | Démonstration technologique | Parfois, surtout au Canada. |
Tennis for Two | 1958 | William Higinbotham | Oscilloscope | Divertissement pur | Le plus souvent. C’est le consensus général. |
Au-delà du « Premier » : Les Pionniers des Genres
Identifier le premier jeu, c’est bien. Mais ce qui est encore plus passionnant, c’est de voir comment les genres que nous adorons aujourd’hui ont émergé de ce bouillonnement créatif. Le premier jeu n’a pas tout inventé, loin de là.
Le Premier FPS : Wolfenstein 3D et l’Ombre de Doom
On fait un bond dans le temps. Les années 90. Les PC deviennent des machines de jeu. En 1992, le studio id Software lâche une bombe : Wolfenstein 3D. On y incarne un espion allié s’échappant d’un château nazi. C’est le premier jeu de tir à la première personne (FPS) qui rencontre un succès massif. La vue subjective, les couloirs labyrinthiques, l’action frénétique… les bases sont posées.
Pourtant, un an plus tard, le même studio sort Doom (1993). Et là, tout change. Doom n’a pas inventé le FPS, mais il l’a transcendé. Avec ses niveaux plus complexes, ses textures variées, son ambiance terrifiante et surtout, son mode multijoueur révolutionnaire, il a défini le genre pour la décennie à venir. À tel point qu’on ne parlait pas de « FPS » à l’époque, mais de « Doom-like ». Wolfenstein 3D a ouvert la porte, Doom a construit le manoir.
Le Premier Monde Ouvert : La Révolution Elite
Aujourd’hui, on ne jure que par les mondes ouverts. GTA, The Witcher, Zelda: Breath of the Wild… Mais qui a eu cette idée folle en premier ? On cite souvent The Legend of Zelda (1986) sur NES pour sa carte explorable. Et c’est un pionnier incontestable.
Pourtant, deux ans avant, en 1984, un jeu britannique nommé Elite avait déjà pulvérisé les conventions. Dans Elite, vous êtes un pilote de vaisseau spatial. Vous commencez avec un petit cargo et 100 crédits. Le reste dépend de vous. Commerce, piraterie, minage d’astéroïdes… la galaxie est à vous. Et cette galaxie était immense, avec huit galaxies contenant chacune 256 planètes, générées de manière procédurale. Pour 1984, c’était de la sorcellerie. Elite est sans doute le véritable grand-père des mondes ouverts et des simulations spatiales comme No Man’s Sky.
Jeu vs. Jouet : Une Distinction Fondamentale
Au milieu de cette archéologie vidéoludique, une question surgit souvent : quelle est la différence entre un jeu et un jouet ? C’est une distinction cruciale.
Un jouet est un objet qui sert de support à l’imagination. Pensez à une poupée, des LEGO, ou même au plus vieux jouet du monde : le hochet. Il n’y a pas de règles fixes, pas de but à atteindre. La fonction du jouet est de permettre une créativité libre.
Un jeu, en revanche, est un système avec des règles, des contraintes et un objectif. Gagner, perdre, atteindre un score, résoudre une énigme. Tennis for Two est un jeu : il y a des règles (frapper la balle au-dessus du filet) et un but (marquer des points).
Cette distinction nous aide à comprendre pourquoi le Cathode-Ray Tube Amusement Device est souvent vu comme un jouet électronique, tandis que Bertie the Brain et Tennis for Two sont considérés comme de véritables jeux.
L’Héritage des Pixels : Comment Ces Dinosaures Influencent nos Jeux de 2025
On pourrait penser que ces antiquités n’ont plus rien à nous dire. Erreur. Leur ADN est partout. Chaque fois que vous lancez une partie, vous activez un héritage qui remonte à plus de 60 ans.
- L’idée de physique simple de Tennis for Two, où une balle est soumise à la gravité, est l’ancêtre direct des moteurs physiques ultra-réalistes d’aujourd’hui.
- L’intelligence artificielle de Bertie the Brain, capable de vous battre au morpion, est la lointaine grand-mère des PNJ complexes et des ennemis tactiques qui peuplent nos mondes virtuels.
- L’exploration libre et la génération procédurale d’Elite sont les fondations sur lesquelles des univers infinis comme celui de Starfield sont bâtis.
- La vue subjective et l’action rapide de Wolfenstein 3D sont les briques élémentaires de chaque Call of Duty ou Valorant.
Ces pionniers n’avaient que quelques pixels et des sons rudimentaires pour créer de l’amusement. Ils ont dû tout inventer : le gameplay, l’interface, l’idée même qu’on pouvait interagir avec des lumières sur un écran pour le plaisir.
Alors, la prochaine fois que vous vous émerveillerez devant un paysage photoréaliste dans votre jeu préféré, ou que vous ressentirez cette montée d’adrénaline dans un match en ligne, ayez une petite pensée pour William Higinbotham et son oscilloscope. Ayez une pensée pour Josef Kates et son cerveau de quatre mètres de haut. Ces scientifiques, ces ingénieurs, ces rêveurs, ne cherchaient pas à lancer une industrie pesant des centaines de milliards.
Ils voulaient juste créer un peu de magie. Et ils ont réussi au-delà de toutes leurs espérances. Le jeu n’est jamais terminé.