Undertale : Plongée dans l’esprit d’un créateur et la naissance d’un culte
En me baladant dans le paysage vidéoludique de 2025, je suis toujours fasciné par les ombres longues que certains jeux projettent. Des titres qui, des années après leur sortie, continuent de vibrer, de susciter des débats passionnés et d’inspirer une créativité sans bornes. Undertale est l’un de ces monolithes. Un jeu d’apparence si simple, presque archaïque, mais qui cache une profondeur abyssale. La question qui brûle encore les lèvres de beaucoup est simple : comment une telle œuvre a-t-elle pu voir le jour ? Qui est le magicien derrière ce rideau de pixels ?
Undertale est l’œuvre quasi exclusive d’un seul homme, le compositeur et développeur américain Toby Fox, qui a financé son projet via une campagne de financement participatif sur Kickstarter.
Cette réponse, si factuelle, n’est que la partie visible d’un iceberg créatif monumental. Pour vraiment comprendre Undertale, il faut creuser. Il faut descendre dans l’Underground, non pas en tant que joueur, mais en tant qu’explorateur de sa genèse. C’est un voyage qui nous mène à un créateur insaisissable, à des choix de conception radicaux et à une communauté qui a cru en une idée avant même qu’elle ne devienne une légende.
Toby Fox, l’homme-orchestre derrière le rideau de pixels
Imaginez un instant. Vous avez une vision. Un monde entier dans votre tête, avec ses personnages, ses lois, sa musique, ses secrets. Maintenant, imaginez devoir être à la fois l’architecte, le musicien, l’écrivain et le programmeur pour donner vie à cette vision. C’est l’histoire de Toby Fox.
Loin des studios de plusieurs centaines de personnes, Toby Fox a façonné Undertale dans une solitude créative quasi totale. À 24 ans à l’époque de la sortie du jeu en 2015, il n’était pas un novice complet. Il s’était déjà fait un nom dans des communautés de niche, notamment en composant de la musique pour le webcomic populaire Homestuck et en s’essayant au ROM hacking, modifiant des jeux existants comme le culte Earthbound. Cette expérience a été fondamentale. Elle lui a appris les rouages du game design et a forgé son style musical si reconnaissable.
Ce qui est fascinant avec Toby Fox, c’est son humilité, presque une gêne face au succès colossal de son œuvre. Le Monde le décrivait en 2018 comme un créateur que son propre succès « embarrasse ». Il est l’antithèse de la star du jeu vidéo. Il est discret, presque un fantôme, préférant laisser son jeu parler pour lui. Et quel langage !
Il a tout fait, ou presque. Le concept, l’écriture de chaque dialogue piquant ou poignant, la programmation sur GameMaker Studio, et bien sûr, la composition de l’intégralité de la bande-son. Seuls quelques éléments artistiques, notamment certains sprites, ont été réalisés par des artistes freelances comme Temmie Chang. Cette approche d’auteur total est la clé pour comprendre la cohérence et l’âme d’Undertale. Chaque élément, du son d’un pas à la blague d’un squelette, vient de la même source.
La Genèse d’une Idée : Plus qu’un simple RPG
Undertale est un RPG, un jeu de rôle. Mais c’est un RPG qui s’amuse à déconstruire méticuleusement tout ce que vous pensiez savoir sur le genre. D’où vient cette idée folle ? Elle vient d’une question simple mais révolutionnaire : « Et si on n’avait pas à tuer qui que ce soit ? ».
Dans la plupart des RPG, la progression se mesure en « EXP » (Points d’Expérience) et en « LV » (Niveau ou « Level »). Pour en gagner, il faut tuer des monstres. C’est la boucle de gameplay fondamentale. Toby Fox a pris cette boucle et l’a tordue. Dans Undertale, « LV » signifie « Level of Violence » (Niveau de Violence) et « EXP » signifie « Execution Points » (Points d’Exécution). Le jeu vous dit littéralement que pour progresser de manière traditionnelle, vous devez devenir un bourreau.
Cette subversion est au cœur de l’expérience. Le système de combat est une merveille d’ingéniosité. Au lieu de simplement cliquer sur « Attaquer », vous pouvez choisir l’option « AGIR » (ACT). Vous pouvez parler à un monstre, le flatter, le défier à un concours de flexions, ou même le caresser. Chaque monstre est un puzzle social. Si vous comprenez sa personnalité et ses désirs, vous pouvez mettre fin au combat pacifiquement. Le combat lui-même, lorsque vous devez esquiver les attaques, se transforme en un mini-jeu de « bullet hell », où votre ÂME (un petit cœur) doit naviguer à travers une pluie de projectiles. C’est unique, engageant, et ça sert le propos du jeu.
Cette philosophie de la non-violence n’est pas sortie de nulle part. Elle s’inspire de jeux comme Shin Megami Tensei, où la négociation avec les démons est une mécanique centrale. Mais Toby Fox la pousse à son paroxysme, en faisant le pilier moral et narratif de son univers.
Kickstarter : Le coup de pouce qui a tout changé
Une vision, c’est bien. Mais pour la réaliser, il faut du temps. Et le temps, ça coûte de l’argent. En 2013, Toby Fox a lancé une campagne de financement participatif sur le site Kickstarter. Son objectif initial était modeste : 5 000 dollars. Assez pour lui permettre de se consacrer au projet pendant un certain temps.
La communauté a répondu présente. Et bien plus fort que prévu. La campagne a explosé, récoltant finalement plus de 51 000 dollars auprès de 2 398 contributeurs. Ce succès n’était pas juste financier. C’était une validation. C’était la preuve que des milliers de joueurs étaient séduits par la promesse d’un RPG différent, un jeu avec du cœur (littéralement).
Cet argent a permis à Toby Fox de travailler sur le jeu pendant près de trois ans. Trois ans de développement quasi-solitaire pour peaufiner chaque détail, chaque dialogue, chaque note de musique. Le Kickstarter n’a pas seulement financé un jeu ; il a permis à une vision d’auteur de s’épanouir sans les compromis souvent imposés par un éditeur traditionnel. C’est une success-story comme on les aime, née de la confiance directe entre un créateur et son public.
L’Histoire d’Undertale : Un conte de fées… ou un cauchemar ?
Au-delà de ses mécaniques, c’est son histoire et ses personnages qui ont cimenté le statut culte d’Undertale. Le postulat de départ est digne d’un conte pour enfants.
Il y a bien longtemps, deux races régnaient sur la Terre : les Humains et les Monstres. Un jour, une guerre éclata entre elles. Après une longue bataille, les Humains remportèrent la victoire. Sept de leurs plus grands magiciens confinèrent les monstres dans l’Underground grâce à une barrière magique.
Vous incarnez un enfant humain qui, bien des années plus tard, tombe dans cet Underground. Votre but ? Rentrer chez vous. Simple, non ?
Pas du tout. Car cette histoire n’est qu’une toile de fond pour une exploration profonde de thèmes comme la pitié, la cruauté, l’amitié et la DÉTERMINATION. La véritable narration d’Undertale est celle que vous écrivez par vos actions. Le jeu se souvient de tout. Absolument tout.
C’est là que les fameuses « routes » entrent en jeu, façonnant une expérience radicalement différente pour chaque joueur.
Route | Condition principale | Conséquence narrative | Le « Message » |
---|---|---|---|
Pacifiste | Ne tuer absolument aucun monstre. Se lier d’amitié avec les personnages clés. | Vous découvrez la véritable histoire de l’Underground, les raisons de la guerre, et atteignez une fin émouvante qui brise la barrière. | L’empathie et la compréhension peuvent briser les cycles de haine. |
Neutre | Tuer certains monstres mais en épargner d’autres. C’est la route « par défaut ». | Vous vous échappez de l’Underground, mais le sort des monstres reste en suspens. Il existe de multiples variations de cette fin. | Les actions ont des conséquences, et l’indécision a un prix. |
Génocide | Tuer systématiquement tous les monstres de chaque zone jusqu’à ce que plus personne ne vienne. | Le jeu se transforme. L’ambiance devient pesante, la musique angoissante. Vous devenez le véritable monstre, et le jeu vous le fait payer. | La curiosité morbide et la quête du « 100% » peuvent révéler la pire facette de nous-mêmes. |
La route Génocide, en particulier, est une expérience marquante. Le jeu ne se contente pas de vous punir ; il vous juge. Il brise le quatrième mur pour s’adresser directement à vous, le joueur, questionnant votre soif de complétion. Et même après avoir fini, le jeu garde des cicatrices permanentes de vos actions, affectant vos futures parties. C’est brillant, dérangeant, et inoubliable.
La Bande-son : L’âme du jeu
Je ne peux pas parler de la création d’Undertale sans dédier un chapitre entier à sa musique. Si le gameplay est le cerveau du jeu et l’histoire son cœur, la bande-son en est l’âme. Composée par Toby Fox, elle est bien plus qu’un simple accompagnement.
Chaque morceau est intimement lié à un personnage, un lieu ou une émotion. Toby Fox est un maître du leitmotiv, un thème musical récurrent associé à une idée. Le thème principal du jeu, « Undertale », se retrouve sous des formes variées dans des dizaines d’autres pistes. « His Theme », le motif associé à Asriel, est l’un des plus poignants du jeu vidéo.
La musique raconte une histoire. Elle évolue avec vous. Le thème de la boutique de Temmie Village est une version volontairement mignonne et décalée du thème de la zone. Dans un combat de boss, la musique n’est pas juste là pour le rythme ; elle est la bande-son de la personnalité de votre adversaire. Et puis, il y a « Megalovania ». Ce morceau, devenu un véritable mème culturel, est l’incarnation musicale d’un très, très mauvais moment. Son énergie frénétique et sa complexité symbolisent le jugement final pour les joueurs ayant choisi la voie de la violence absolue.
L’Héritage d’Undertale en 2025 : Plus vivant que jamais
Presque une décennie s’est écoulée depuis sa sortie. Dans le monde du jeu vidéo, c’est une éternité. Pourtant, Undertale est loin d’être un simple souvenir. Son influence est partout. D’innombrables jeux indépendants ont repris ses idées de choix moraux profonds, de systèmes de combat non-violents ou de narration brisant le quatrième mur.
La communauté de fans est l’une des plus actives et créatives qui soit. Des animations, des comics, des remix musicaux par milliers… L’univers a tellement marqué les esprits qu’il continue de vivre et de s’étendre bien au-delà du jeu original.
Et Toby Fox n’a pas dit son dernier mot. Depuis 2018, il développe Deltarune, un projet lié à l’univers d’Undertale, mais qui n’est ni une suite ni une préquelle. C’est… autre chose. Distribué par chapitres, ce nouveau jeu continue d’explorer les thèmes du choix, du destin et de la liberté du joueur avec la même intelligence et le même humour décalé.
Alors, qu’est-ce que l’histoire de la création d’Undertale nous apprend ? Elle nous apprend qu’une seule personne, armée d’une vision claire, d’un talent multidisciplinaire et d’une bonne dose de DÉTERMINATION, peut rivaliser avec les plus grandes productions. Elle nous rappelle que le financement participatif peut être un formidable tremplin pour la créativité pure. Et surtout, elle nous prouve qu’un jeu vidéo peut être bien plus qu’un divertissement. Il peut être une conversation, un miroir, une leçon d’empathie. Une expérience qui reste avec vous, longtemps après avoir éteint l’écran.